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4 mois à Abu Dhabi
5 mars 2011

Pourquoi il n'y aura pas de révolution aux Emirats Arabes Unis

J'imagine ne rien vous apprendre en vous disant que la situation politique et sociale de la plupart des pays du monde arabe est en plein bouleversement en ce moment. Mais concernant les Emirats Arabes Unis, un peu d'histoire des 50 dernières années pour comprendre que la situation est très différente ici.

(note post rédactionnelle: y a plein de texte, de mots et tout, le plus intéressant est un peu partout, mais surtout dans les 4, 5 et 6 èmes paragraphes "En 1966, ...")

Les Emirats Arabes Unis avant les années 60, c'est un désert immense, peuplé de tribus de bédouins nomades qui s'entraident ou se font la guerre selon les situations, en luttant pour survivre dans des conditions de grande pauvreté. Peu de ressources naturelles à exporter, ils importent une grande partie de la nourriture d'Iran. L'industrie perlière permet de subsister dans les "villes" de la côte, notamment à Abu Dhabi, mais rapporte en fait principalement aux négociants Indiens, seuls habilités par les Britanniques qui contrôlent alors le commerce du Golfe, à vendre les perles aux pays Européens. Au jour le jour, les habitants de ce qu'on appelle alors les Etats de la Trêve, n'ont d'interactions qu'avec les Britanniques qui n'ont aucun intérêt à développer ce bout de désert. Abu Dhabi à l'époque ressemble à un village boueux avec des cases en feuilles de palmier.

En 1960-1961, tout bascule avec la découverte de pétrole exploitable sur l'île de Das, dans l'Emirat d'Abu Dhabi. Entre 1961 et 1966, cependant, même si l'Emirat devient riche de l'exploitation pétrolière, la vie des habitants ne change pas beaucoup, le dirigeant d'alors, Cheikh Shakhbout, est un personnage assez frileux du point de vue de la prise de décision, sans cesse persuadé que les Britanniques cherchent à profiter de lui, de sa crédulité et de son ignorance. Il faut bien voir qu'à cette époque là, il n'y a à Abu Dhabi (l'Emirat) ni école autre que coranique, ni médecin, à fortiori pas d'hôpital. Pas de voiture forcément, les communications se font à dos de chameau. 80% de la population ne sait ni lire ni écrire. Les dirigeants n'ont pas d'expérience des affaires, et Cheikh Shakhbout ne se lance pas dans le développement d'Abu Dhabi et d'infrastructures qui deviennent indispensables, car il préfère conserver ses ressources dans l'éventualité d'une menace extérieure. Comme cela profite aux pays voisins, qui exportent matières premières, marchandises et services vers Abu Dhabi, la situation reste malheureusement bien stable au détriment de la population.

En 1966, Cheikh Zayed prend le pouvoir (le Cheikh Shakhbout finira sa vie au Liban). Cheikh Zayed est alors gouverneur de la province d'Al Ain (la deuxième ville actuelle de l'Emirat d'Abu Dhabi, "refuge" de la population locale), et il est très conscient du besoin de développement d'Abu Dhabi, et de l'injustice qu'il y a à conserver les immenses revenus de l'industrie pétrolière dans les coffres des banques. C'est un leader naturel, qui a passé tout le début de sa vie à parcourir le désert d'une tribu à l'autre, pour aider les gens, résoudre les litiges nombreux à l'époque avec les pays voisins (Oman, Arabie Saoudite). Tout le monde le respecte, l'aime, et tout le monde n'attend qu'une chose, que le pouvoir lui revienne, ce qui arrive en 1966 après deux ans passés à convaincre la famille régnante et les Britanniques.

A partir de là, ce sera festival. Cheikh Zayed commence par ouvrir les coffres du palais et à distribuer l'argent aux Abu Dhabiens qui viennent en faire la demande. Il met en place une structure gouvernementale, crée des ministères, se rallie largement à l'expertise étrangère pour mener à bien des projets de développement, d'infrastructures. En trois ans, la ville change de visage, rattrape deux siècles de développement et passe directement au stade de société de haute technologie (l'électricité arrive en 67, les téléphones portables en 1972!). Tous les secteurs de l'économie se développement en parallèle, et tout n'est pas rose, mais la direction prise par le Cheikh pour le développement social est inédite. L'Etat indemnise chaque Abu Dhabien pour permettre la reconstruction d'un logement moderne, et d'un commerce, donne à chacun en plus plusieurs lots de terrain à développer, en zone résidentielle, industrielle et en centre ville. La politique de distribution des terres a cessé dans les années 80 quand tout a été distribué. Mais encore aujourd'hui les gens peuvent demander à bénéficier d'un local commercial disponible, ou d'un terrain pour une maison. Bon je ne m'étends pas plus sur le développement d'Abu Dhabi, ça nous rendrait jaloux et un peu amers. Et c'est évidement plus facile de redistribuer la richesse avec des ressources naturelles abondantes, mais ca reste tellement rare...

Aujourd'hui, l'Etat donne à chaque couple marié une allocation de terrain et financière pour bien démarrer dans la vie, n'est-ce pas, ainsi que des allocations généreuses pour chaque enfant. L'eau, l'électricité sont gratuites, il n'y a pas d'impôt locaux ou sur le revenu. Chaque société qui s'implante doit avoir un associé Emirati (associé aux revenus, pas forcément au travail ou au capital), et un certain pourcentage d'employés locaux. Ceux-ci devenant une denrée rare (le local qui veut travailler, s'entend), ils sont très bien payés, et ne sont pas vraiment stressés par leurs patrons pour devoir effectivement produire du travail. Alors évidement, tout n'a pas été rose et facile, surtout au début quand les gens n'avaient aucune expérience des affaires. Certains ont tout dépensé en superflu de luxe sans s'inquiéter du long terme, d'autres ne savaient pas comment faire fructifier le patrimoine qu'ils recevaient, certains Occidentaux ont aussi profiter de leur naïveté dans le monde des affaires. Mais en 50 ans ils ont bien appris, et dans les meilleures universités, et aujourd'hui il leur est très facile de se reposer sur le travail des autres.

Si révolution il devait y avoir, ce serait une révolution philippine ou indienne, mais comme le moindre trouble est susceptible d'une reconduite immédiate à la frontière, tout reste très calme. 

Et si ca vous intéresse, j'ai trouvé toutes ces choses intéressantes dans un livre écrit par un Emirati, De la pauvreté à la richesse - Histoire d'Abu Dhabi, de Mohammed Al Fahim qui a vécu ces évènement lorsqu'il avait uen vingtaine d'années, et qui a participé par la suite au gouvernement. Proche de Cheikh Zayed, il donne dans son livre (co-écrit avec une journaliste) une vision de l'intérieur, et un témoignage sur ces années de transition plutôt intéressant. Et en plus il est disponible en dehors des UAE ! Bon je ne sais pas s'il est trouvable en neuf, mais pas de soucis, je le ramènerai avec moi =)

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